| Des opposants vent debout, des bisbilles politiciennes... Le projet de Parc national des calanques prend du retard. Créer une réserve protégée aux portes de Marseille-la-frondeuse et son million d'habitants n'est pas une sinécure. Avis de coup de vent entre le Cap Canaille et l'archipel de Riou. "C'est comme si on créait un parc à Chamonix et que l'on interdise l'accès au Mont-Blanc". Fernando Ferreira connaît les calanques comme sa poche. Dingue d'escalade, c'est son terrain de jeu : "Tous à l'association Des calanques et des hommes, on est pour la protection du site, mais pas n'importe comment". Et ce qu'il reproche justement aux promoteurs du Parc national, c'est "le n'importe comment" : "Au début, ils ont tracé au gros feutre les contours du parc sur une carte au 50 000e, rien que l'épaisseur du feutre, ça faisait un kilomètre!". Depuis c'est "un mur d'incompréhension" entre les grimpeurs et le Parc... Dans ces calanques que Gaston Rebuffat déflora à l'aplomb du "Doigt de Dieu", les randonneurs, les kayakistes, les pêcheurs du dimanche et les professionnels, les cabanonniers, les plongeurs, les plaisanciers, la bateliers attendent au coin du bois. Il n'y a jamais que les naturistes, abonnés à la Calanque de l'Œil de verre, qui comptent y gagner en discrétion... "Il fallait faire preuve d'imagination pour créer ce parc d'un nouveau type, et il n'a pas été inventé", regrette Fernando Ferreira. C'est vrai que le futur Parc des Calanques est un ovni. À cheval sur terre et sur mer, aux portes de Marseille et de son presque million d'habitants pour qui le goût du réglement n'est pas inné... Les Calanques affichent une fréquentation record : 1,3 million de visiteurs par la terre, 800 000 par la mer. L'été, c'est la cohue. "Pour rentrer de Callelongue le dimanche soir, il faut 2 heures et demie", soutient Lionel Royer-Perreaut, bras droit de Guy Teissier, député UMP et président du GIP (Groupement d'intérêt public) chargé de mettre en musique le futur parc. Pour le moment, c'est plutôt la cacophonie. Dernière fausse note : le report de six bons mois de l'ouverture de l'enquête publique. "En avril, après les cantonales", explique Guy Teissier. Mais pas trop près de la présidentielle non plus... "Avant de créer un parc", peste un randonneur, "il faut arrêter de déverser en mer les chiottes de Marseille". Et aussi les boues rouges, résidus d'une usine de bauxite de Gardanne rejetés par une canalisation sous-marine sur les coraux du canyon de Cassidaigne..."Ceci n'est pas de la compétence légale du Parc", évacue le GIP... Dans les plis de la calanque de Callelongue, Thierry Buonomo ne tient pas le discours officiel pour parole d'Évangile : "Le GIP affirme que seulement 4 % du domaine maritime sera en cœur de parc, c'est-à-dire complétement interdit. Mais avec nos bateaux de moins de 5 métres, c'est pile là où l'on va. Donc ce sera en fait 100 %". Sans compter que le GIP "est provisoire, après ce sera l'État, et là on ne pourra rien faire". "Ou alors, ce sera comme aujourd'hui", renchérit un résident, "pour accoster au Riou réserve naturelle interdite, y a que le bakchich..." "C'est bien la première fois qu'on verrait les Marseillais refuser de l'argent de l'État" Les opposants annoncent la couleur: un collectif défend les Calanques marseillaises libres ! La marche sur les Tuileries n'est pas loin... "Le site est classé depuis 1975, il y a Natura 2000, la loi Littoral, pourquoi un parc en plus ?". "Protéger mais sans interdire", martèle Béatrice de Crozet, du Comité écologique de Sauvegarde de La Ciotat et chasseur à ses heures. "Un parc régional comme en Camargue oui, national non". "Le directeur aura tous les pouvoirs, les élus et les citoyens aucun", prévient Joseph Russo, du Collectif des Amis de la Rade... "Et puis la mer est à tous depuis Charles VII", parole de républicain... "Ça, c'est le côté anti-jacobin des Marseillais", rétorque Lionel Royer-Perreaut, "mais c'est bien la première fois qu'on les verrait refuser de l'argent de l'État". "Le parc permettra l'unicité de gestion et surtout la préservation", assure-t-il, "et, d'abord, il fera respecter le réglement sur les chiens et les barbecues". "Dans un temps pas si lointain, on y pêchait à la grenade", rappelle Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille. À Sormiou, la fronde couve. Les pontes de la ville y ont leur pied-à-terre. Mais Sormiou n'échappera pas au coeur de parc, et "les cabanonniers n'auront pas de statut dérogatoire", tranche le GIP. La valse des laisser-passer a de beaux jours... Jean-Claude Gaudin a obtenu que les Goudes, ce quartier populaire, passent à travers les gouttes. Mais les 8e et 9e arrondissements dont Guy Teissier est l'élu? "Tout ça, c'est une affaire entre UMP", lâche un opposant, "car ce sera un parc UMP. Entre Gaudin et Teissier, c'est à qui emm... le plus l'autre". Mazette ! "Eh bien, regardez la carte, toutes les villes de gauche sont exclues !" Les limites du parc tiennent de la dentelle. Sur le site universitaire de Luminy, la frontière s'enroule autour des immeubles. À La Ciotat, elle rase les murs d'Athelia V, la zone industrielle... Pourtant il y va de la survie du mérou brun, de l'avenir de l'astragale de Marseille et de la paix du gecko de Mauritanie, ce lézard "porte-bonheur" qui dévore les moustiques... Sur le port de Cassis, les bateliers attendent les touristes : "Le parc peut être commercialement intéressant", lâche Bruno Marques ; "on fera des efforts sur la sonorisation des bateaux, la vitesse et la motorisation. Mais pour un moteur hybride moins polluant, c'est 250 000 euros, il faudra tirer des subventions". Rien qu'à Cassis, le GIE aligne 14 navires ! L'addition roule déjà en écho de calanque en calanque... De notre envoyé spécial GEORGES BOURQUARD REPÈRES CALANQUES EXPRESS Les calanques sont en majorité sur la commune de Marseille, à l'exception de Figuerolles et Muguel (La Ciotat) et Port-Miou (Cassis). Les calanques, réparties sur une bonne vingtaine de kilométres, sont près d'une quinzaine. Le GIP (groupement d'intérêt public) chargé de préparer le Parc national a été créé en 1999 pour une durée de dix ans. Il vient d'être prolongé. La décision de créer un Parc national a été prise par François Fillon en 2009. Le Parc couvrirait 48 000 hectares en mer et 13 000 sur terre. Ce sera le premier parc périurbain d'Europe. Seuls deux parcs de même type existent au monde : Sydney et Le Cap. Combien d'habitants à l'année seront concernés par le périmétre de Parc ? Entre 5 et 10 000, avance le GIP ; entre 20 et 35 000, affirment les opposants au projet. 60 à 80 gardes équipés de moyens terrestres et de trois bâteaux sont envisagés. La charte devrait être rendue publique à la fin mai. Paru dans l'édition 74D du 10/05/2010 (202620940881) |